Association Boris Mouravieff

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Bulletin n° 5 – Mars 2010

HISTOIRE

Une lecture de l’Histoire de Russie à la lumière de l’ésotérisme

De mai 1960 jusqu’à l’automne 1961, Boris Mouravieff publie dans la Revue « Synthèses » une série d’articles intitulée « La Dynastie étrangère en Russie et la Chute de l’Empire ». A travers cet ensemble d’articles, Boris Mouravieff, historien, entend situer le contexte psychologique dans lequel s’est déroulée l’histoire de la dynastie des Holstein-Gottorp, dite Romanov, en Russe.

En particulier, Boris Mouravieff historien tire le portrait de personnages de l’Histoire de la Russie sans pour autant se départir de son regard d’ésotériste. Ainsi, par exemple, le portrait de Catherine II fait-il directement écho, nous semble-t-il, au Chapitre XV du Tome II de Gnôsis qui, rappelons-le, transmet au lecteur « la représentation schématique, mais réaliste de la Personnalité de l’homme cultivé de no—tre temps dont le centre émotif se trouve délaissé. »

 

Voici donc l’extrait de l’article consacré à Catherine II :

Un passage des Mémoires de Catherine est particulièrement intéressant du point de vue psychologique. Serrée de tous côtés dans des circonstances difficiles — dotée d’une nature forte et passionnée, Catherine parvint à prendre vis-à-vis d’elle une position ferme, qui lui permit de maîtriser dans une grande mesure l’effet des influences sous lesquelles elle se trouvait. Elle note :

« … La fierté de mon âme et sa trempe me rendaient insupportable l’idée d’être malheureuse. Je me disais : « Le bonheur et le malheur est dans le cœur et dans l’âme de chacun , si tu sens du malheur, mets-toi au-dessus de ce malheur, et fais en sorte que ton bonheur ne dépende d’aucun événement. »

Par une telle disposition d’esprit, mise en œuvre avec toute la force de son tempérament, Catherine se rendit dans une grande mesure — sa carrière en fait la preuve — indépendante des mouvements émotifs de son cœur. C’est dire que la fierté, autrement dit les mobiles dictés par la tête, étouffèrent désormais en elle les sentiments. Il faut faire ici une distinction , il s’agit expressément des sentiments de la vie sentimentale, à ne pas confondre avec cette sensibilité dont Catherine parle, et qui est un des aspects multiples par où se manifeste la sexualité.

Nous ne sommes pas là pour juger Catherine, mais cette brève analyse psychologique nous était nécessaire pour mieux comprendre et mieux nous expliquer son « cas », ses actes et, d’une manière générale, le style qui lui est propre. Comme elle-même le fait entendre on ne peut plus explicitement, elle pratiqua sur elle-même une opération « psycho-chirurgicale » et de ce fait devint imperméable au sentiment. Elle éleva une barrière à la possibilité de se sentir malheureuse en cultivant l’indifférence tant vis-à-vis des émotions suscitées de l’extérieur que vis-à-vis des mouvements spontanés de son cœur. Et ce cœur devint froid.

Catherine ne se rendait probablement pas compte que si cet entraînement l’avait rendue insensible aux malheurs, son cœur était devenu, de ce fait même, insensible au vrai bonheur, aux sentiments élevés, en particulier à l’amour. Son « bonheur » désormais ne s’élevait plus au-dessus du niveau le plus bas des joies humaines : amour-propre, vanité, orgueil, sexualité. Lorsque le cœur s’est glacé, seuls les mobiles de la raison et des passions déterminent la conduite de l’individu. Des cas semblables d’infirmité psychique sont de tous les temps. Ils deviennent même de plus en plus fréquents avec les progrès de la civilisation technique. Les calculs de la raison peuvent être d’un raffinement extrême , les passions peuvent être vives et caractérisées par une sensitivité exquise, mais l’être humain ne saurait combler le vide qu’un cœur froid y a creusé.

Cependant, du point de vue des « affaires », cet état présente de gros avantages. Car tout est ou semble alors permis.

Telle était la philosophie de Brantôme. En examinant la conduite de Catherine dans sa vie personnelle, ses actes dans la politique intérieure et extérieure, nous trouvons sans peine que les maximes de cet Abbé du XVIe siècle devinrent celles qui régirent deux siècles plus tard la conduite de Catherine.

Extrait de l’article : « La Dynastie étrangère en Russie et la Chute de l’Empire » (VI),
paru dans la Revue Synthèses, novembre 1960, N°174, pages 101-102.

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